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émoignage de Bob


Ma mère était régulièrement mariée, c'est-à-dire coutumièrement, civilement et religieusement. Cependant, après six ans de vie délicieuse de laquelle naquirent quatre enfants dont un garçon et trois filles, ma mère et son mari se séparèrent de fait.

Cette situation dura près de quatre ans ; quatre ans pendant lesquels le mari de ma mère résolut de convoler en nouvelles noces avec une autre compagne. Ma mère ne tarda point à en faire autant.

En effet, elle apprit à partager sa vie avec un homme de son âge, célibataire de son état, de qui elle aura un petit garçon. J'étais né.

Quelques temps plus tard, mon père, réalisant qu'il entretenait des relations coupables avec ma mère, qui, du reste, demeurait encore dans les liens de son mariage, se rétracta pour, cette fois-ci, se marier régulièrement avec une autre femme, de qui il aura plus tard quatre enfants. Le départ de mon père détermina ma mère à comprendre qu'aussi longtemps qu'elle ne s'affranchirait pas de ses liens de mariage d'avec son mari, il lui serait difficile d'espérer un remariage en bonne et due forme ou simplement une vie libre.

Aussi, entreprit-elle de saisir la justice par une action en divorce qui aboutit à un jugement qui allait déclencher la marche d'un engrenage désagrégé avant même qu'il ne fonctionne, et dont les rouages dégraissés allaient constituer désormais chacun des aspects de ma vie. En effet, le juge de Première Instance, en vertu du principe que tout enfant né pendant le mariage a pour père le mari de sa mère, et considérant, à toutes fins utiles, qu’à ma naissance, ma mère, qui n'était que séparée de fait d'avec son mari, demeurait encore dans les liens juridiques de son mariage, ce juge donc, prononça ce divorce en prenant soin de me classer dans la lignée clanique du mari de ma mère, qui, aux yeux de la loi, et sous certaines réserves, était vu comme mon père. Ma garde lui fut également confiée.

Il convient de souligner ici qu'aussi curieux que cela puisse paraître, le mari de ma mère ne me désavoua point et ne contesta pas la paternité à lui attribuée, en dépit du fait que je sois né pendant une période notoire de sa séparation de fait d'avec ma mère. Il sied de remarquer que mon acceptation par le mari de ma mère était de nature à dissuader aussi bien ma mère que mon père dans une quelconque tentative d'ester en justice en contestation ou en reconnaissance de paternité en ma faveur, au risque, le cas échéant, d’être poursuivis l'une et l'autre pour adultère, le mari de ma mère les ayant déjà menacés en ce sens à maintes reprises. Quant à moi, mineur d'état, j'encaissais et ruminais, impuissant, toutes ces péripéties.

Me voici à quatre ans, l’âge où tout enfant aspire à de nouvelles dimensions d'affection parentale, plutôt tiraillé entre deux pères. Deux pères, dont l'un biologique, non marié à ma mère, pourtant mon véritable père, craignant de me reconnaître au risque d'être poursuivi pour adultère, et cet autre père que me reconnaît le Droit, parce que mari de ma mère à ma naissance. Devant ma curiosité à l'égard de cet état des choses, ma mère m'apprit que seuls les hommes de Droit, en fait les juges, étaient à même de m'expliquer ma condition et qu'il ne fallait point que je me fisse des soucis à ce sujet. Cette réponse que je trouvais, jusqu'à un certain âge insuffisante, me détermina à faire les études de Droit pour mieux comprendre ma condition. Plaise au ciel qu'aujourd'hui ma compréhension à ce sujet soit immensément approfondie.

Qu'à cela ne tienne, il est impérieux de relever que pendant toute mon enfance, je ne pus supporter d'habiter sous le toit du mari de ma mère, dont la désormais femme ne m'acceptait guère. Aussi, à plusieurs reprises, ai-je dû m'évader de chez lui pour rejoindre ma mère, vivant désormais pratiquement seule. Je puis aujourd'hui affirmer que j'ai finalement grandi dans les bras de ma mère, cette femme qui, ne m'ayant rien caché quant à ma condition, n’avait cessé de me rappeler que j'avais un père que je ne devais jamais oublier et que, quoi qu'il arrive, je devais chercher quelques fois à le voir.

L'écho de cette recommandation de ma mère résonne encore ce jour dans mes oreilles. Elle (cette recommandation) renferme plus d'une signification. En effet, d’abord, ma mère savait que je ne portais pas dans mon cœur son ancien mari, mon père juridique, non seulement parce que ce sont les juges qui me l'avaient attribué, mais surtout parce que, m’aimant bien et préférant que je demeurasse chez lui, il s'enflammait quand il apprenait que j'avais rendu visite à mon père biologique. Ensuite, ma mère savait que je désirais vivre avec mon père comme tous les autres enfants. A cette idée, je brûlais d'envie de le voir toujours, mais pour le haïr aussitôt après l'avoir vu parce que, me disais-je, lâche qu'il était, il n'avait jamais rien entrepris pour me reconnaître et me prendre auprès de lui.

Par ailleurs, il est important de préciser que dans la maison de mon père, l'ambiance n'était pas toute rose. Non seulement je faisais l'objet de diverses calomnies et de mauvais traitements (cela ne veut nullement dire que j'étais l'excellent garçon, loin de là!), mais il arrivait même que mes sœurs (consanguines) me présentassent à certains de leurs amis comme étant leur cousin. Dans ce paysage, je me sentais étranger aussi bien chez mon père juridique que dans la maison de mon père biologique, chacune de leurs femmes ayant par ailleurs réussi à dresser leurs enfants contre moi.

Ainsi que l'on peut le constater, je n'ai pas de frères ni de sœurs germains, c'est-à-dire nés des mêmes père et mère que moi. J’en ai soit des utérins, avec qui nous avions eu en commun notre chère mère, aujourd'hui décédée, et des consanguins, avec qui nous partageons le même père. Je me révèle ainsi comme une charnière entre ma mère et mon père, le seul enfant qu'ils aient eu ensemble, mais qui n'ait jamais vécu avec eux sous un même toit de là l'idée de me demander si j'ai eu des parents dans ma vie, eu égard notamment à la définition qu'un artiste comédien congolais, BIOLO STEWART pour ne pas le citer, donne du concept PARENTS. En effet, dans son rôle de phaseur (enfant de la rue) dans la pièce "Pourquoi je suis phaseur?", il définit stricto sensu "les parents" comme "le père et la mère d'un enfant, vivant avec ce dernier sous un même toit, l’aimant, assurant et assumant ses éducation et instruction".

Dans ces conditions, j'arborais une nature introvertie, timide, craintive et complexée devant certains camarades que je voyais entourés d'affection par leurs parents. Longtemps, j’ai cherché à aimer vraiment, à cultiver des amitiés, sans succès. Je dois avouer au jour d'aujourd'hui que je n'ai jamais eu, jusqu'à un certain âge, d'ami, sinon ma mère. En effet, ma mère était tout ce que je pouvais avoir. Aussi loin que mon esprit peut regarder en arrière et se rappeler les souvenirs de ma condition d'enfant né hors mariage, je revois un jour d'avril 1987 où, après une sérieuse fracture au genoux lors d'une rencontre de football inter-universitaire, je fus interné aux cliniques de l'Université. Mon traitement nécessita, au risque d'amputation de ma jambe gauche, une somme énorme d'argent que ne sut trouver le mari de ma mère chez qui je passais mes week-end, car j'habitais déjà le Home des étudiants.

Ma mère se résolut à voir mon père, espérant une solution de sa part. Ce qui fut fait. Seulement, en payant la facture de mon hospitalisation, mon père laissa entendre qu'il s'agissait là de son dernier acte en ma faveur aussi longtemps que je continuerai d'habiter chez des gens (allusion faite au mari de ma mère chez qui je passais mes week-end). Cette déclaration relevait d'une simple supercherie dès lors qu'il était sans ignorer qu'il m'était impossible de le rejoindre. D'autre part, le mari de ma mère ayant appris que celle-ci était allée voir mon père pour honorer la facture de l'hôpital, décida qu'à ma sortie (de l’hôpital), je ne revinsse plus chez lui.

Le jour suivant, je quittai l'hôpital après plus d'un mois, la jambe plâtrée, soutenu par des béquilles, seul avec ma mère, sans aucune adresse à la cité. En effet, moi qui avais jusque-là deux pères, paraissais ce jour-là en avoir aucun. Ma seule adresse restait ma chambre numéro 1222, Home 10, campus de l'université de Kinshasa, chambre dont je bénéficiais en temps qu'élément de la Brigade des étudiants et Président du CERAIG, Cercle des Anciens de l'Institut de la Gombe sur le campus (ex Athenée royal de Kalina).

A chaque chose malheur est parfois bon. La multiplicité des lignages claniques auxquels je pouvais être rattaché me permit de subsister tant bien que mal devant les diverses alternatives des blocs tribalistes Est-Ouest au pouvoir sur le campus de l'Université. En effet, ma mère était de la province Orientale, son mari de l'Equateur et mon père de Bandundu. Il semble que je dégage une morphologie Luba (du Kasai). Cet état des choses me permit de bénéficier des avantages de la Brigade des étudiants, prenant parfois la couleur du pouvoir en place.

Mon esprit revoit également la fermeture de l'Université qui a entraîné l'évacuation des étudiants des Homes, vers les années 1990. Je me retrouvais alors à la cité, séjournant dans la famille d'un ami de l’école. Là,fondu dans des soucis, diverses maladies m'accablèrent et ma famille d'accueil, par crainte du pire, envisagea de se débarrasser de moi.

Dans ce désespoir, chaque lever de soleil inaugurait une amertume de la vie pour moi, je me sentais de trop et inutile au monde. je réalisai à cette époque que la pire des choses au monde qui pousse les gens au suicide, c’est qu'ils se sentent inutiles et de trop. Cependant, je rends grâce à mon Dieu toutes les fois que je me souviens d'une de mes sœurs aînées (utérines) qui, un jour, m’assistant dans ma détresse, m'exhorta sur les termes de l'Apôtre Paul aux Philippiens : "Ne vous inquiétez de rien, mais en toutes choses, par la prière et la supplication, avec des actions de grâce, faites connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence gardera votre cœur et vos pensées en Christ-Jésus." (Phil.4:6-7)

Cette exhortation transforma ma vision de la vie. Je découvris, connus et reçus Christ et expérimentai sa Paix, cette Paix à laquelle tous, enfants nés dans le mariage ou hors mariage avions été appelés pour former un seul corps.

Cette Paix a régné en moi lorsque l’Eternel, à coup sûr jaloux de ce que je considérais ma mère comme mon dieu, décida souverainement de me l'enlever juste après la fin de mon diplôme de licence en Droit. Je me sentis une fois de plus inutile et frustré sans cette merveilleuse femme qui représentait tout pour moi.

Je dois avouer que ce fut très pénible dans ma chair, surtout que je venais à peine d'être placé à un emploi. Néanmoins, spirituellement, Dieu m'a instamment rappelé de considérer comme un sujet de joie complète cette épreuve que je rencontrais.

Curieusement, la mort de ma mère m'a comme libéré de la frustration selon laquelle je ne pouvais compter en aucune autre personne qu'en elle.

Dans tous les cas, Dieu m'a confondu, moi qui aimais ma mère tout en haïssant mon père, Dieu m'enleva celle qui m'avait élevé, celle pour qui j'avais formé plusieurs projets, et m'a laissé celui que je haïssais, afin de m'apprendre à l'aimer. Aujourd'hui, mon père est devenu mon ami. Je l'aime beaucoup aujourd'hui.

Bob


 
Bob BANZELYNO GIANZ'
- ( conversions - bénédictions ) modifié le 31-10-2002


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